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La manager est mort ! Vive le manager !

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  • Post published:22 avril 2018
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Le manager est mort ! Il faut sauver le soldat manager ! Tels sont les intitulés florissant sur les réseaux sociaux ou médias sur les ressources humaines, le management ou la stratégie d’entreprise. Mais existe-t-il seulement un manager dans les entreprises ? En effet, étymologiquement, le manager est un rôle, qui dans notre langue de Molière n’est pas utiliser à proprement parler dans les intitulés de postes. Et pourtant, on trouve des managers dans toutes les discussions. Craindrait-on le changement aussi dans le management, quand il s’impose dans toutes les strates de l’organisation d’entreprise ? Tout comme la puissance mécanique a bouleversé le monde de la production, serait-ce l’intelligence artificielle ou la transformation digitale qui interpelle le management dans son rôle et sa capacité à se positionner dans une nouvelle donne de l’organisation d’entreprise ?

La transformation digitale peut prendre bien des formes au sein de l’entreprise. Essentiellement, elle se traduit par deux évolutions majeures pour le dirigeant d’entreprise. Avant tout, elle remet en cause la représentation et la complexité du monde dans lequel évolue l’entreprise. Les rapports à l’espace et au temps de la vie de l’entreprise sont impactés par ce nouveau canal d’échange d’information universel. De plus, l’échelle de temps dans laquelle s’exerce la stratégie d’entreprise est contractée. Ce resserrement met en défaut le manque d’adaptabilité voire la dimension part trop opérationnelle des stratégies d’entreprise modélisées pour un environnement d’une relative stabilité.
Dans les deux cas de figures, en découle une remise en question profonde de deux fonctions régaliennes du manager : le pilotage et le contrôle de l’activité de sa responsabilité.

D’une part, le manager doit produire des données exploitables, des analyses et de l’information. Par ces données et ces analyses, il permet d’intervenir sur le circuit de production pour l’optimiser ; repérer les faiblesses et les corriger, etc. Il établit en connaissance les objectifs de sa responsabilité, en rapport à l’information d’ensemble partagée avec ses pairs et la direction.

De ce point de vue, le développement des capacités d’analyse de l’humain 1.0 sont d’ores et déjà supplantées par le digital. A l’ère du Big Data, les volumes de données devant faire l’objet d’une interprétation ou d’une analyse pour élaborer une information exploitable dans un cadre décisionnel est au-delà des capacités du processeur du manager. Pour donner un ordre de grandeur, il y a déjà dix ans, la dernière crise financière et les excès révélés des transactions à hautes fréquences peuvent offrir une première représentation. Des analystes de l’Autorité des Marchés Financiers reconnaissaient alors qu’il avait fallu plus de trois mois pour produire une analyse de seulement trois minutes de transactions boursières échangées à Wall Street. Lesdites transactions avaient été perturbées suite à une « fake news » ayant impacté les algorithmes de transactions.

D’autre part, le management a également pour fonction de contrôler non seulement la réalisation des objectifs fixés, mais aussi de contrôler la bonne mise en œuvre des orientations et plans d’action établis pour piloter son activité. La démarche veut qu’en contrôlant de façon pointue et assidue, le manager peut repérer rapidement les défaillances et donc y remédier plus rapidement.

Concernant cette fonction, l’approche systémique de l’entreprise induit une complexité drastiquement accrue, en rapport à la dimension digitale et informationnelle que nous vivons. En effet, les rapports au temps et à l’espace de l’entreprise mettent en exergue les limites d’une action basée sur un mode réactif et orienté résolution de problème. L’omniprésence de l’information remet en jeu la question de la compétence et de l’évolutivité des besoins du client. L’individualisation des besoins oriente le marché vers des stratégies de personnalisation et de fonctionnalités sans cesse renouvelées. Cette dynamique ne peut se satisfaire d’une offre a posteriori. Le modèle de la start-up et ses tentatives d’intégration dans les grands groupes, tout comme le questionnement actuel autour du leadership illustrent le besoin de renouvellement.

Suivant ces deux constats, quelle est la place et la posture du manager en entreprise pour ce 21ième siècle naissant ? Quelles compétences et savoir-être sont à même d’argumenter du rôle de manager au sein de nouvelles représentations de l’entreprise ?

La proposition du présent article est que le manager pourrait définir sa valeur ajoutée pour l’entreprise, dans sa capacité à élaborer, maintenir et animer une représentation globale, cohérente et stable de l’entreprise pour l’individu. Par ces qualités de la représentation d’entreprise, le manager induirait l’existence d’un espace pour agir, entreprendre et innover ensemble.

Au début du XXème siècle, Henry Ford a introduit la division verticale du travail. Il peut être observé que nombre d’entreprises projettent à ce jour cette représentation à travers une césure entre « ceux qui savent » et « ceux qui font ». Dans ce cadre, il est proposé d’aborder les fondements du rôle de manager suivant sa posture d’intermédiation. Ce rôle pourrait alors se modéliser selon la relation duale qu’il élabore, maintient et anime d’abord entre la gouvernance de l’organisation et l’individu, puis entre l’individu et la culture de l’entreprise.

Selon l’approche de Schopenhauer, notre rapport au monde se baserait sur la « réalité ». Elle serait pour chacun une élaboration d’une synthèse cognitive globalisante, cohérente et stable : une « représentation de notre réalité du monde ». Par cette représentation et surtout ces qualités, l’humain s’autoriserait et parviendrait à construire un espace d’action et d’interaction au monde.

Par ailleurs, suivant l’aphorisme d’Alfred Korzybski, « La carte n’est pas le territoire ». Ainsi, en considérant le territoire de l’entreprise, nous n’en percevrions que la ou les représentations que nous en construirions. Chaque individualité participerait de l’élaboration d’une représentation propre puis collective de l’entreprise pour en donner une réalité.
Par conséquent, l’entreprise n’existerait que par les représentations que nous en proposerions. Pour reprendre Jean-Louis Le Moigne, il n’y a pas de « statut ontologique » pour cette entreprise dont nous parlons tout le temps sans l’avoir jamais vue.

Si chaque individu est l’architecte de cette réalité et acteur à la fois de son projet personnel et de la réalité collective de l’entreprise, comment alors communiquer avec les autres et comment coordonner projets individuels et projets collectifs ? C’est dans la complexité de cette nouvelle forme de représentation de l’entreprise que pourrait s’inscrire la démarche du manager.

Edgar Morin est l’un des acteurs majeurs de la pensée complexe et du co-constructivisme. Avant tout, il ramène la notion de complexité au cadre sémantique du terme latin « complexus » qui signifie « tisser ensemble ». Par suite, Edgar Morin pose le principe de « reliance » comme réponse à la complexité du monde. S’il n’est pas l’auteur de ce terme, il nous dit « que la reliance, dans le fond, englobe le terme de solidarité, celui de responsabilité et nous permet, justement, de nous relier à autrui de façon active et consciente […] ». Une proposition serait donc d’inscrire ce principe dans le cadre de la complexité de l’entreprise et de la participation du manager, dans l’élaboration et la mise en œuvre d’une représentation cohérente et stable pour ouvrir le champ des possibles pour les autres acteurs.

Le développement d’intelligences multiples et collectives « tissées en réseau » nécessiterait non seulement la mise en relation des différents acteurs mais aussi l’apprentissage collectif de nouvelles méthodes de communication. Par la mise en œuvre de ce savoir-être et de ses outils, le manager pourrait créer les conditions d’un équilibre entre pensée et action, dans les différents cours du temps et dans les nombreuses dimensions, locales et globales, de l’espace de l’entreprise. L’intelligence collective serait ainsi le fondement d’une innovation, nécessaire au pilotage des systèmes complexes de l’entreprise. Fondamentalement, le manager participerait de l’unicité et de la stabilité d’une représentation de la complexité de l’entreprise.

Dans cette acceptation des nouveaux rôles du manager, le terme manager ne serait-il pas également à réinventer ? Serait-ce dans ce cadre que se développe le débat et l’engouement autour du leadership ou plus globalement du développement des compétences transverses ou « softs skills » ?